Arnaud Baumann | Interview | Le Temps Détruit Tout
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INTERVIEW MENÉE PAR PHILIPPE LOWINSKI


Comment s’est déroulée votre rencontre avec Gaspar Noé?


Je l’ai croisé plusieurs fois lors du Festival de Cannes et j’ai assisté à une projection de « Carne » il y a une dizaine d’années. J’étais aussi à Cannes pour faire des photos de Stars lors d’une soirée organisée par Maurice Tinchant, dans une superbe villa. Il y avait Michel Piccoli, Emmanuelle Béart, Isabelle Huppert … A un moment donné j’aperçois Gaspar, qui à l’époque était complètement inconnu. Comme j’aimais bien le personnage et ce qu’il faisait, j’ai eu envie de faire une photo de lui. J’avais monté un studio avec la chambre 50X60 Polaroïd : c’est un appareil qui existe en trois exemplaires dans le Monde, et qui était prêté à certains photographes. En fait, c’est un appareil photo grand comme une armoire normande avec lequel on prend une photo 50X60 en exemplaire unique.
Parallèlement à cela, j’avais ma propre chambre photographique dans laquelle je faisais des photos en noir et blanc. Après avoir fait un portrait d’Isabelle Huppert, il devait être trois heures du mat, j’ai attrapé Gaspar et lui ai dit que je souhaitais le prendre en photo. Je me souvenais de « Carne ». C’est la raison pour laquelle je lui ai demandé de se mettre torse nu avec un bout de tissu blanc autour de la taille, comme s’il était un boucher. Je suis même allé en cuisine pour y chercher un couteau ! La photo s’est faite en très peu de temps…à peine trois minutes.


Pourquoi nu ?


Pour moi, toutes les raisons sont bonnes pour déshabiller les gens ! Quelqu’un qui pose nu a forcément une autre attitude face à l’objectif, il se livre beaucoup plus. Gaspar Noé a compris que j’allais faire une belle photo de lui, la tenue légère ne l’a donc pas gêné. Il aurait très bien pu refuser ! Et puis, il n’était qu’à moitié nu !


Cette photo fait-elle partie d’un livre ?


Non. Elle est complètement inédite et n’apparaît que sur mon site. Lorsque « Irréversible » est sorti, je regrettais tellement de ne pas être à Cannes pour cette occasion, que j’ai voulu me « venger » en mettant cette photo sur le site le jour de la présentation du film ! Pour parler d’ « Irréversible », j’ai mis beaucoup de temps avant d’aller le voir…on en avait tant parlé que je craignais d’être déçu. Mais ce ne fut pas le cas, bien au contraire ! J’ai été enthousiasmé. Ce film est génial sur le plan de la construction cinématographique, et même si le discours est très pointu et dérangeant, le travail de Gaspar est remarquable. Il a fait vivre à ses comédiens quelque chose d’unique et d’intense, que le spectateur est bien obligé de ressentir à son tour. C’est ainsi que j’imagine le cinéma…c’est le genre de cinéma que j’espère pouvoir faire un jour.

Quel regard portez-vous sur son œuvre ?

Gaspar est un franc-tireur, il a une franchise d’expression étonnante. Un peu comme David Lynch dans Eraserhead ou dans Mulholland Drive. Il fait partie de ces gens qui font une utilisation si intelligente et brillante de leur liberté, que tout ce qu’ils disent et font est forcément remarquable.


Pourquoi cette posture altière, presque dominatrice sur la photo ?


Je connais peu Gaspar, mais je l’imagine comme un grand timide. Moi-même, je déteste être photographié. Je comprends d’autant mieux que l’on puisse détester cela. Et ma force, je crois, c’est d’avoir une telle compréhension de la gêne occasionnée, que je diffuse sur les gens une énergie qu’ils me renvoient après. J’ai complètement dirigé Gaspar Noé. Tout comme un réalisateur peut diriger un acteur, avec plus ou moins de douceur ou de violence, selon ce qu’il veut exprimer. Je voulais faire de lui un personnage de ses films ! Alors qu’il n’est pas du tout comme cela…ce n’est ni un tueur ni un malade. Gaspar Noé est quelqu’un de tout à fait normal. Ce qui fait sa différence, c’est sa liberté de pensée et sa franchise. Peut-être que s’il ne faisait pas ce cinéma, il serait devenu un tueur…je n’en sais rien, on peut tout imaginer ! Dans ma façon de le photographier, j’ai voulu en faire quelqu’un d’inquiétant qui pourrait être le boucher. Je pense qu’au fond de lui il a une grande violence, même s’il est très doux vu de l’extérieur. C’est la nature humaine qui veut ça. Et notre essentielle différence avec le monde animal, est de savoir maîtriser ces états extrêmes. Certains n’y parviennent pas … Lui, je ne l’ai jamais ressenti comme un être agressif. Il n’aime pas être photographié ou peut-être même pas être vu ou reconnu, et cependant, si vous le mettez à l’aise, il devient réellement ce qu’il est : un homme bien dans sa peau d’artiste!


L’avez-vous rencontré récemment ?


Oui et Non.
Lors du dernier Festival de Cannes que je couvrais pour Studio magazine, je l’ai photographié alors qu’il applaudissait le film « The Brown Bunny » de Vincent Gallo, mais il ne m’a pas remarqué. La dernière fois que je l’ai réellement croisé, c’était encore à Cannes, il y a quatre ans. J’étais en train de dîner dans un restaurant, lorsque je l’ai aperçu en train de coller lui-même les affiches de « Seul contre tous » !! Il était environ minuit, et Gaspar était dans une rue sombre ses affiches sous le bras. Je lui ai fait signe, nous nous sommes parlés deux minutes et j’ai immortalisé ce moment étonnant en prenant une photo. Je me souviens m’être dit : Ce mec est un vrai, un pur ! Son job c’est sa vie et il aime la vie. Même si il a un regard sombre sur elle, c’est à dire, lucide.

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Je tiens à remercier chaleureusement Arnaud Baumann qui, dès notre premier contact téléphonique m’a fait une totale confiance sur la conduite de l’entretien.


(Propos recueillis par Philippe LOWINSKI, au téléphone, le 23/10/03)

INTERVIEW BY PHILIPPE LOWINSKI

How was your first meeting with Gaspar Noé?

I met him several times during Cannes Film Festival and I've been to a screening of Carne ten years ago. I also was in Cannes to shot movie stars during a party organized by Maurice Tinchant in a superb villa. There were Michel Piccoli, Emmanuelle Béart, Isabelle Huppert... Then, I saw Gaspar who was, at that time, completely unknown. As I liked both the person and his work, I wanted to  shot a picture of him. I had made a photography studio equipped with the 50x60 Polaroïd view camera : there are only three copies of this camera in the world and it was lent to some photographers. Actually, it was a camera as big as a cupboard, with which we shot a unique 50x60 cm (about 19,6x23,6 inches) picture.
Besides that, I had my own view camera in which I made black & white pictures. After shooting a portrait of Isabelle Huppert, it was around 3:00am, I caught Gaspar and told him that I wished to shot a picture of him. I remembered Carne. That is why I asked him to be shirtless with a piece of white fabric around his waist, like he was a butcher. I even went in the kitchen to take a knife! We shot the picture in a really short time... Barely three minutes.


Why naked ?


In my opinion, every reasons are good to undress people! Someone who poses naked inevitably has another attitude in front of the lens, he gives himself way more. Gaspar Noé understood that I would make a nice picture of him, the light clothes didn't bother him. He could have turned down! And, he only was bare-chested!


Is this picture part of a book?


No. It's completely exclusive and only appears on my website. When Irreversible was released, I regretted so much not being in Cannes for this opportunity that I wanted to "avenge" myself by adding the picture on the website the day the movie was screened! About Irreversible, it took me a lot of time before watching it... We talked about it so much that I feared to be disappointed. But it wasn't the case, on the contrary! I was excited. This movie is great on its cinematographic construction, and even if the background is refined and disturbing, Gaspar's work is notable. He gave his actors something unique and intense, that the audience has to feel in his turn. This is how I picture movies... it's the kind of movies I'd like to do in the future.


How do you feel about his work ?


Gaspar is independant, he has a surprising frankness speech. A bit like David Lynch in Eraserhead or Mulholland Drive. He is part of those people who use their freedom so much brillantly and cleverly, that everything they say or do is necessarily notable.


Why this haughty posture, nearly dominant, on the picture?


I don't know much Gaspar, but I see him as a very shy man. I hate being photographed. I understand better that we can hate that. And my strength is, I think, that I have the understanding of the awkwardness so I give to the people some energy they send me back after.  I completely directed Gaspar Noé. Just like a filmmaker can directs an actor with more or less softness or violence, according to what he'd like to say. I wanted him to become a character of his movies! While he isn't like this at all... he is neither a killer nor mad. He's totally normal. Where he is distinguished, it's his freedom of thought and his honesty. Maybe that if he didn't make this kind of movies, he would have become a killer... I don't know, we can imagine everything! In my way to photograph, I wanted to make him a disturbing man who could be the butcher. I think that deep down, he has a lot of violence, even if he is really kind in the outside. The human nature wants that. And our essential difference from animals is that we know how to control these extremes states. Some can't manage that... I never felt him as an agressive being. He doesn't like to be photographed or maybe not even being seen or recognized, and yet, if he feels comfortable with you, he becomes who he really is : a man who feels good as an artist!


Did you see him lately ?


Yes and no. During the last Cannes Film Festival I was covering for Studio Magazine, I photographed him while he applaused The Brown Bunny by Vincent Gallo, but he didn't notice me. The last time I really met him, it also was in Cannes, four years ago. I had a dinner in a restaurant when I saw him sticking some poster of I Stand Alone up!! It was about midnight, and Gaspar was in a dark street, carrying his posters. I greeted him, we talked two minutes and I immortalized this surprising moment by shoting a pic. I remember that I told myself : this guy is a real, pure person! His job is his life and he likes life. Even if he has a dark look on it, that is to say clear.

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I'd like to warmly thanks Arnaud Baumann who, from our first phone call, wholly trusted me on the interview management.

(Interviewed by Philippe LOWINSKI, by phone, on 23rd, October, 2003 / Translated from french by Alexis Veille)

Credits.

Arnaud Baumann

Photographe

Photographer

LOWINSKI, Philippe. Entretien avec Arnaud Baumann. Le Temps Détruit Tout [en ligne]. Publié le 25 octobre 2003. Disponible à l'adresse : http://www.letempsdetruittout.net/interviews/arnaud-baumann

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